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Dans le bestiaire de Provence on trouve un grand nombre d’êtres fantastiques dont les plus connus sont la tarasque d’Arles, le dragon de Draguignan, le garagaï de la sainte-Victoire, la garamaude d’Allauch, la couleuvre de la Sorgue, etc. Il faudrait leur adjoindre les petits êtres que sont les fadets, les farfadets, les spectres, les gripets, les foulets... et, au Castellet, les fouletouns. Il s’agit d’une sorte de tout petits nains dans le genre des korrigans de Bretagne. Certains sont malveillants envers les hommes, mais la plupart se montrent généralement amicaux, serviables et bienveillants. On en trouve partout, cachés au fond des jardins, dans les bois, près des sources et des puits, vers les grottes.

La première histoire qui me fut contée remonte à des temps très anciens, lorsque Le Castellet s’est développé en fond de vallée au XIIIe siècle, quand les moines noirs de Villeneuve-les-Avignon sont venus fonder leur prieuré. À cette époque bénie les fouletouns aidaient les Castellians à tous leurs travaux domestiques. Ils faisaient la lessive, ils frottaient le sol, ils enlevaient la poussière. Cette bonne entente a duré très longtemps, au moins deux siècles. Les habitants du village devaient seulement leur donner de temps en temps une bouillie d’épeautre cuite dans du lait et surtout ils ne devaient jamais tenter de les apercevoir. D’ailleurs, dans les circonstance normales, les fouletouns étaient invisibles des humains. Mais un jour certains Castellians, voulant les voir malgré tout, leur tendirent un piège. Sachant qu’on pouvait seulement voir leur reflet, ils placèrent une grande bassine d’eau et ils se mirent à l’agachon. Mais les fouletouns s’en rendirent compte et se fâchèrent gravement. Non seulement ils s’arrêtèrent de leur donner de l’aide, mais ils firent s’abattre sur les Castellians toutes les pluies du ciel jusqu’à ce que le sol ne puisse plus absorber une seule goutte. Le Rancure et ses adous inondèrent toutes les terres et les récoltes furent entièrement perdues. La population commença à mourir de faim. C’était au mois de juin 1585.
Ce jour-là les fouletouns furent cruels et impitoyables.

Une autre histoire s’est déroulée au XVIIIe siècle. Les choses s’étaient peu à peu arrangées entre les Castellians et les fouletouns. À cette époque il n’y avait pas encore de fontaine au village et les gens allaient chercher de l’eau à la souce de la Fouent (aujourd’hui en haut de la Coussière) qui coulait à souhait. Un jour trois amis partirent à la cueillette des morilles, surtout que l’année précédente les bûcherons avaient abattu plein d’arbres dans une coupe de bois. Ils étaient montés un peu plus haut que la source et un peu avant la tombée du jour, leurs paniers pleins de champignons, ils s’étaient arrêtés pour boire un peu d’eau fraîche. Comme il faisait chaud, ils firent un petit pénéquet. Mais à leur réveil les paniers avaient disparu. Toute la cueillette perdue ! Volée ! Fort courroucés ils redescendirent au village. Et là quelle ne fut pas leur surprise en voyant leurs paniers de morilles chacun sur la table de leur maison !
Ce jour-là les fouletouns furent espiègles, mais serviables et amicaux.

Enfin la dernière histoire – vraie – me fut contée il y a une quinzaine d’années par Clément Giraud. Elle s’était déroulée dans les années 1930. En ce temps l’institutrice habitait dans l’école et elle avait son jardin derrière le bâtiment (où se trouvait jusqu’à peu la cour de la maternelle). Elle y avait planté de nombreux melons. Des enfants du village s’y rendirent de nuit pour en dérober quelques uns. Ils voulaient bien sûr les meilleurs, les plus sucrés. Ils prélevèrent donc avec un couteau un petit morceau dans chacun des melons pour les goûter avant de faire leur choix. Lorsqu’au matin la maîtresse s’aperçut du saccage, elle demanda en classe quels étaient les responsables. « Ce sont les fouletouns » répondirent les galopins.
Ce jour-là les fouletouns eurent bon dos.

S.K. - 2020